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La politique à la tchadienne

Un homme marchant à côté d’une affiche de campagne affichant le Président de Transition Mahamat Idriss Deby Itno pour les échéances électorales, Tchad 4 mai 2024. REUTERS/Gilles Chris Namia Rimbarne

Tous les peuples ont leur façon de faire de la politique, certains pacifiquement, d’autres en usant de la violence, mon pays le Tchad se trouve malheureusement classé dans la deuxième catégorie.

« La politique est une guerre sans effusion de sang » nous enseignait l’immense Mao Tsé-Toung. Mais parler de l’histoire politique de mon pays le Tchad, c’est remémorer les périodes macabres. Car rien qu’en pensant aux années suivantes :

1975 (coup d’état renversant François Tombalbaye) ; 1979 (guerre civile); 1982 (changement de régime par les armes) ; 1990 changement de régime par les armes) ; 2006 (guerre de rébellion à N’Djamena) ; 2008 (bis repetita de 2006) ; 2021 (attaque rébellion à Mao, occasionnant la mort du Maréchal Idriss Déby Itno) et enfin 2022 (une manifestation sanglante à N’Djamena le 20 octobre), l’on pense aux milliers des tchadiens et tchadiennes qui ont succombé dans ces guerres fratricides.

Des villages incendiés, des enfants orphelinisés, des veuves abandonnées à leur triste sort. Ouille ! La politique a causé tant de tort à mon pays. Peut-être que nous l’aurions mal comprise. Ces erreurs sont à l’origine du grand retard accusé par ce pays au cœur de l’Afrique par rapport aux autres du continent.

Aujourd’hui, nous pouvons estimer que l’esprit belliqueux ne hante plus les Tchadiens, ou du moins, le dieu de la guerre a pris congé du Tchad, ne serait-ce que temporairement, car un vent nouveau souffle sur les 1 284 000 km2. Mais, une nouvelle forme de guerre sans arme est lancée. Cette guerre présente plusieurs facettes. Accrochez-vous, nous allons les explorer ensemble !

Mahamat Idriss Deby vote lors des élections présidentielles à Ndjamena, au Tchad, 6 mai 2024.
Mahamat Idriss Deby vote lors des élections présidentielles à Ndjamena, au Tchad, 6 mai 2024. © RFI /  Stringer / Reuters

Le duel entre deux générations

Actuellement, la scène politique tchadienne affiche des nouveaux visages, des jeunes pour la plupart, ils ont à peine quarante ans, à l’instar du Président de la République Mahamat Idriss Deby Itno fraîchement élu le 6 mai dernier et son challenger direct, Dr Succès Masra. Rares sont les vieux leaders d’antan qui pèsent encore politiquement. Car ayant mené le combat politique pendant des décennies, ils ont décidé de changer de stratégies pour une retraite politique dorée. Mais la « gérontocratie politique » a des beaux jours devant elle. Il suffit de suivre les débats politiques opposant les nouveaux leaders avec les « rodés » de la politique pour se rendre à l’évidence que les vieux ne sont pas prêts à céder leurs places aux plus jeunes qu’eux.

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Les Intellos

La nomination du Dr Succès Masra au poste de Premier ministre a ajouté un nouveau mot dans le jargon politique : Harvadiste ou « les gens de Harvard » allusion faite au passage de Masra et quelques-uns de ses proches collaborateurs par Harvard. On leur reprochait de se choisir entre eux et surtout d’être imbus de leurs savoir-faire. Les internautes n’hésitaient pas à critiquer les sorties hasardeuses de tel ou tel autre quidam appartenant au cercle du camp adverse, ou bien c’est tout le monde qui devient correcteur professionnel pour détecter la moindre incorrection sur tout acte signé à la Primature et publié en ligne.

La politique des réseaux sociaux

La campagne pour les élections présidentielles de 2024 nous a tout appris. Des pages ont été transformées en des pages des bureaux de soutien de telle ou telle autre coalition. Une guerre virtuelle sans merci était lancée.

Le premier doungourou a réclamé son droit c’était en 1880. pic.twitter.com/W8OgVd7WpZ— Gueurierose ⚔️🛡👑⛰🐫🐪 (@laagarthaa) June 7, 2024

Des militants virtuels s’adonnent à des lynchages dès qu’un militant du camp adverse fait une publication, ils signalent systématiquement sa page. Et face à la détresse, il crie au secours en ces termes : « Ma page est attaquée, pompez des cœurs ». Ainsi, ses amis et leurs amis se transforment tous en sapeurs-pompiers pour le sauver. 

Puisque c’est là-bas que tout se joue, il y a des militants virtuels qui n’attendent que des occasions pour bondir de colère sur toute personne qui ose mal parler de leur leader politique. N’est-ce pas là, le début de l’autoritarisme ?    

Clanisation de la scène politique

Partout ailleurs, les gens adhèrent à un parti politique sans aucune considération ethnique, régionale ou confessionnelle ; mais au Tchad, c’est tout à fait le contraire. Car le Tchadien cherche à adhérer au parti appartenant à son groupe ethnique, son clan, village ou canton. On adhère au parti de la même manière qu’on intègre l’entreprise familiale sous d’autres cieux. Désormais on se retrouve en famille dans les différentes mouvances politiques. Peut-être que j’exagère, mais c’est vrai !

Si par malheur, un membre appartenant au même groupe ethnique que le leader se permet de faire des remontrances aussi fondées soient-elles sur la gestion du parti, même calamiteuse, c’est tout le monde qui va s’acharner contre lui. Une sentence sévère s’abat sur lui. Comme pour dire « on n’accepte pas les traîtres parmi nous ». Or, le « coupable » voudrait juste redresser les choses. Dommage qu’il n’y ait personne pour l’écouter, il va juste faire face à la colère populaire.

À écouter

Soumaïne Adoum: «Le Tchadien veut sortir de la pauvreté, veut de la démocratie et de la liberté»
Soumaïne Adoum, porte-parole de la plateforme de la société civile tchadienne Wakit Tama.
Soumaïne Adoum, porte-parole de la plateforme de la société civile tchadienne Wakit Tama. © Carol Valade/RFI

Les doungourus et les vrais partisans

Au Tchad, les règles sont claires : « Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous ». Toutes celles et tous ceux qui ont des avis contraires, des raisonnements opposés deviennent automatiquement des ennemis. Les plus « estimés » sont traités de lâches. Sinon, ils prennent l’étiquette des doungourous (lèche-bottes).

Les « Anges » d’un camp, et « démons, les maudits » constituent aussi un camp. Quoique vous fassiez, les partisans de l’un ou l’autre camp ne vous louperons jamais. Face à cette guerre asymétrique, où les balles sont tirées de partout, il n’existe qu’une solution : la neutralité.

Être neutre, c’est se sauver !?

« Je suis apolitique », une formule qui est devenue le leitmotiv de beaucoup des tchadiens me semble être une solution idoine pour éviter de subir les coups bas de la politique.

Pour moi, l’autre solution serait de faire la politique discrètement, au mieux, choisir d’être neutre pour passer à travers les mailles des critiques acerbes des vrais partisans qui se croient meilleurs que les autres.     

Pour finir, je demanderais aux lecteurs de méditer sur la pensée de Bernard Werber : « Très peu d’hommes savent se forger une opinion par eux-mêmes. Aussi répètent-ils ce que leur ont dit leurs parents, puis leurs professeurs et enfin ce qu’ils ont entendu aux informations du soir, et ils finissent par se convaincre qu’il s’agit là de leur opinion personnelle, au point de la défendre ardemment face à d’éventuels contradicteurs. Il suffirait pourtant qu’ils tentent d’observer par eux-mêmes, de penser par eux-mêmes et ils découvriraient le monde tel qu’il est et non pas comme on les conditionne à le voir ».                                                                                                                              

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Auteur·e

sonsdecloche

Commentaires

Mahamat Algoni
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C'est une analyse objective qui décrit les réalités quotidiennes. L'accès à l'emploi et à certains postes nominatifs et électifs relève du Doungouroutisme dont vous avez décrit. Et pour y remédier il faut l'engagement de chacun de nous afin de relever le défi pour construire un Tchad plus juste et équitable.