Le 21 juin dernier, à l’occasion de la fête des pères, j’ai voulu souhaiter « Bonne fête » à mon père en langue maternelle ; mais hélas ! Mon père n’a jamais songé à nous apprendre le « Maba », un dialecte de l’ethnie Maba dans la région du Ouaddaï à l’est du Tchad.
Mon père m’a inscrit à l’école dès l’âge de 5 ans pour apprendre à lire et à écrire en français, anglais et arabe. Il s’est personnellement investi dans mon éducation afin que je ne manque de rien. Il était super généreux avec moi et avec toute la fratrie d’ailleurs. J’ai longtemps considéré mon père comme le Père parfait jusqu’à cette date du 21 juin 2020 en réalisant qu’il m’a privé d’un trésor : ma langue maternelle.
J’ai récemment découvert la Journée Internationale de la langue maternelle qui est célébrée le 21 février de chaque année. Une journée durant laquelle, l’on promeut et valorise sa langue maternelle. Malheureusement, cette journée était un non événement pour moi.
Je dois vous avouer une chose, mon père, à l’instar de quelques autres pères, refuse de m’apprendre la langue maternelle pour deux raisons bien déterminées.
Les parents utilisent la langue maternelle comme un « outil » de confidentialité
Nos parents n’aiment pas partager leur secret avec les plus jeunes. Les vieux africains se veulent « sages », mais ils ne le sont pas tous : je veux parler de ceux qui excluent systématiquement les enfants de leurs conversations « entre adultes ». Et ce au nom du TABOU qu’ils ont su perpétuer à travers plusieurs générations.
Les parents parlent en patois lorsqu’ils abordent le sexe, les « on-dit », l’arrangement d’un mariage non consenti par l’enfant et surtout de l’argent.
La langue maternelle sert de « dernier Joker » pour les parents
Comme les jeunes Ados parlent en français (argot) ou en anglais ou en d’autres langues ésotériques pour les vieux, ces derniers aussi ne veulent pas se laisser faire. En parlant en langue maternelle, les vieux envoient un message clair à ces jeunes pour leur dire qu’ils maîtrisent eux aussi une langue que les jeunes ignorent. C’est une démonstration de force. C’est comme la guerre de missile entre les puissances militaires où chacun brandit son arme la plus sophistiquée que l’adversaire n’en possède pas.
La bonne nouvelle dans tout ça est qu’il existe un lexique de langue Maba traduit en français et en arabe disponible dans les librairies à Abéché. Je me demande quel autre moyen va utiliser mon père pour partager ses secrets avec ses amis le jour où j’apprendrais moi-même la langue Maba.
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